Auteur: Sandy Genre: Romance/Drame
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Chapître 1
Lorsque Nanako Misono arriva à son nouveau lycée, elle était toute craintive du monde tout nouveau auquel elle allait se frotter, et même, elle avait un peu peur. Des visages tout neufs, et à présent, il fallait se faire connaître, avec tout ce que cela représentait de dépense d’énergie, elle pour qui toute nouvelle connaissance était un peu comme une imprudence. Déjà, dans le bus qui la conduisait au lycée, en regardant autour d’elle, elle se faisait bousculer de partout, elle était déjà toute angoissée, ballottée qu’elle était comme une feuille, elle avait l’air toute fragile et apeurée. Puis vint son arrêt, le bus s’arrêta devant son tout nouveau lycée, il fallait descendre. Seulement, pour arriver jusqu’à l’ouverture, il lui fallait passer par toute une foule qui déjà, avant même qu’elle n’entame le premier pas, menaçait de l’étouffer :
- Je vais rater l’arrêt, dit-elle, alarmée, laissez moi descendre !
Mais personne ne l’entendait, ou si on l’entendait, on fit comme si de rien n’était. Le bus déjà allait se refermer, quand tout à coup, elle fut happée par deux bras nerveux, qui, en un tournemain, et sans qu’elle ne s’en rendit compte, l’entraîna dans la descente. Et toute surprise de se retrouver ainsi dehors, libérée pour ainsi dire, elle allait remercier son sauveur, quand en jetant les yeux sur lui, devant ses cheveux longs et effilés, devant sa silhouette toute fine et qui contredisait si formidablement la force déployée, elle s’aperçut qu’en fin de compte, c’était tout ce qu’il y avait de plus féminin, car son sauveur, oui, c’était une jeune femme. Enfin, c’est ce qui lui apparut après coup si l’on veut, car ce que vit Nanako immédiatement, c’est qu’il se dégageait de cette personne un mystère, comme un magnétisme pour elle, qui retenait l’attention.
- Je vous remercie, dit Nanako, dans un murmure.
- De rien, petite.
Et la silhouette, s’en allait déjà, comme par magie, de la même façon qu’elle était intervenue pour la sortir d’embarras, elle s’était éclipsée dans l’intérieur du lycée. Cependant, Nanako demeurait dans l’expectative de cet incident qui pour elle, avait déjà tout le charme d’une rencontre. Malgré elle, elle en avait oublié tout ce qui l’occupait tout juste avant, sa peur de la rentrée scolaire, ces nouvelles et prochaines amies qu’elle comptait se faire, et ainsi de suite, pour ne s’occuper plus que de la personne qui venait de la sauver. C’est ainsi que disparut toute sa peur de la rentrée, toute son angoisse, encore que cela dévia brusquement dans son esprit à la faveur de cette personne. Qui était-elle, qui pouvait-elle être ? Sans doute devait-il s’agir d’une élève de terminale, peut-être même d’un professeur, qui sait ? Il y avait tant de maturité déjà dans ce regard qu’elle-même ne savait plus où donner de la tête, et se raccrochait éperdument au souvenir des deux bras qui l’avaient ainsi happé dans la foule. Insensiblement, tout au long de la journée, tout son corps s’occupait de ses hanches, comme si elle avait reçu en quelque sorte quelque marque de feu qui devait lui rester. Car elle en sentait encore toute la pression, et quelle douceur malgré toute cette poigne, comme si la force ici s’alliait avec la beauté dans une harmonie de sylphe. Et tout au long de la journée Nanako avait été distraite par cette personne, quoiqu’elle ne la revit plus, mais son esprit s’en occupa encore davantage, et la journée passa rapide comme l’éclair.
Nanako ne vit pas, ne se rendit pas compte que sa distraction à elle, soulevait comme une fraîcheur autour d’elle, et de la même façon qu’elle-même s’occupait de sa « sauveuse », pour ainsi dire, elle ne vit pas, ne s’aperçut pas que deux yeux s’occupaient tout entier d’elle, que cette fraîcheur, cette puérilité spontanée, si l’on veut, avait un charme bien à elle, et qui sortait même beaucoup de l’ordinaire. Nanako était en effet la gentillesse même, elle avait le cœur sur la main, comme on dit, et d’autant plus qu’elle ne le savait pas.
Il y a des personnes qui attirent malgré elles, qui exercent un magnétisme, et tout s’enchaîne dans un cercle tournant sans cesse. Cette personne-là s’intéresse à une autre, et ne voit pas l’intérêt qu’elle soulève. De même que son intérêt se dirige vers une personne toute indifférente à son égard, cette indifférence même devient intéressée et se rattache à une autre personne qui justement fait l’objet de ce magnétisme qu’elle cherche en vain à susciter auprès de la première.
Pour être clair, Nanako était, dès son premier jour, toute absorbée par Saint-Just.
Saint-Just était « la sauveuse » du bus. Mais Nanako elle-même retenait l’attention de Fukiko, la présidente d’un cercle d’exception, le cercle de la rose. Saint-Just tournait autour de Fukiko et se désespérait de se faire remarquer d’elle, tandis que cette dernière, de son côté, cherchait déjà le moyen de s’accaparer Nanako.
C’était là en somme toute la trame de l’histoire, qui devait tourner, du moins pour un temps autour de ces trois personnages, avant que d’autres n’interviennent, car chacun avait son mot à dire, à commencer d’ailleurs par Tomoko, l’amie d’enfance de Nanako. Et l’on avait peut-être exagéré en disant qu’à son entrée au lycée, Nanako se retrouvait bien esseulée, car enfin, la présence de cette amie, lui servait comme d’un appui, pour mieux faire la transition, dans ce passage au nouveau monde dans lequel elle entrait, dans ce monde où pour la première fois, son cœur commençait à battre violemment au-dedans d’elle.
Et comme il en est souvent lorsque l’on se trouve trop rempli d’un flot de sentiments et d’émotion, que le cœur ainsi se remplit sans qu’il ne puisse s’épancher nulle part, sur une épaule amie, sur quoi que ce fut qui put recevoir la confidence sous le sceau du secret, Nanako écrivait le soir tout son ressenti, en des lettres intimes qu’elle envoyait à un jeune professeur.
- Quelle mouche te pique, se disait Nanako, de parler de toutes ces choses à quelqu’un que tu as à peine vu ?
- Eh bien, se répondit-elle, c’est comme cela, il m’a tout de suite inspirée de la confiance, cet intérimaire, je lui ai demandé la permission de lui écrire de temps en temps, et il a accepté. Voilà, je ne vais pas cherché midi à quatorze heures, moi, je suis comme cela, ça vous inspire ou non, et cela m’a inspirée, voilà tout. Je suis comme cela.
Et force était de constater que cela lui allait assez bien de pouvoir ainsi s’épancher, encore que l’on pouvait aussi se demander comment donc, elle qui avait à sa disposition Tomoko, ne s’épanchait pas auprès d’elle ?
Voici mon explication. Nanako ressentait le besoin de se confier à une puissance supérieure, et c’est là le sentiment que lui faisait ce professeur. Il inspirait une confiance, sans doute plus protectrice que celle de son amie, qui sera toujours son égale, au lieu que ce professeur de par son âge déjà, logeait dans une autre sphère, en même temps qu’il dégageait une sympathie, de la chaleur communicante, bref cela lui parlait, sans qu’elle ne le comprenne. Et peut-être même qu’elle avait une prescience de qui était ce professeur, ce tout jeune universitaire souriant à toute la classe, mais qui avait tout l’air de lui sourire à elle seule.
Toujours est-il que ce besoin de se confier, d’avoir toujours un mot à dire, de ne rien garder pour soi, montre bien que Nanako était une nature plus profonde qu’il n’y paraissait, que sa gentillesse même puisait dans un fond plus stable, allait plus loin dans la source, car elle avait toujours l’air de se trouver toute pleine et de déborder : sa gentillesse même était une forme d’expression.
Cependant, Nanako était comme entraînée malgré elle dans toute une spirale d’événements dès son entrée au lycée. Occupée seulement de Saint-Just, de qui elle voulait accorder le temps libre de ses pensées, elle subissait la vie de l’école, bien plus qu’elle n’agissait sur le cours des choses. D’abord, et contre toute attente, elle avait été retenue pour figurer dans le cercle de la rose, et sa candidature, disait-on, avait été appuyée par Fukiko.
Bien entendu, Nanako n’avait rien su de tout cela. Surprise d’une telle marque d’estime, elle rivait des yeux étonnés partout alentour. Elle se retrouvait tout à coup, sans le réclamer, sans oser jamais y prétendre, dans la lumière du cercle le plus fermé qui fut jamais, où il y avait beaucoup d’appelées, mais si peu, si peu d’élues. Qu’elle reçut cette distinction la jetait dans le trouble, sans compter que sa fragilité, au lieu de sentir plus de confiance d’être ainsi honorée, s’en retrouvait accrue.
Car c’était une rose, mais une rose sans épine.
Nanako ne comprenait pas cet intérêt, d’autant qu’il y avait des candidates naturelles au cercle de la rose, et ces candidates même disposaient du plus grand prestige pour avoir des parents haut placés et très fortunés. Mais rien y faisait, contre toute attente, dès sa première année, dès son arrivée au lycée, Nanako devenait l’objet de cette attention signalée, et comme célèbre malgré elle.
Il va sans dire que cela ne manqua pas de provoquer de la jalousie, à commencer par les candidates naturelles au cercle, et qui venaient de se faire éclipser par une « parvenue », une fille de rien du tout, et qui, on ne sait comment, avait été ainsi propulsée dans le rayonnement du cercle de la rose, et pouvant presque déjà jouir de la présence continuelle de celle qu’on recherchait partout, de la grande, si belle, pourtant si dédaigneuse, de Sa Majesté Fukiko Ichinomiya.
Fukiko exerçait un si grand empire, non seulement dans le cercle, non seulement dans l’école, mais partout, que rien n’aurait pu lui résister, pour peu qu’elle ne tendit, pas même la main, mais le plus petit bout d’ongle en direction de la personne qu’elle venait de distinguer. C’était une princesse qui n’avait pas même besoin d’avoir ce titre pour qu’on le lui accorde sans réserve. On l’appelait d’ailleurs Sa Majesté, ou Princesse, sans qu’elle-même n’intervienne pour rectifier, c’était tout naturel. Il y avait tant de charisme qui se dégageait de cette beauté presque trop sévère, avec ces cheveux blonds comme le soleil, sa hauteur majestueuse, le frôlement de sa robe, qu’elle était appelée à régner dans une cour, ce qu’elle faisait d’ailleurs au sein du cercle.
Tout en elle était luxe, calme apparent et volupté toute prête à se consumer.
Et pourtant, elle avait tendu bien plus que la main à Nanako, sans qu’en retour, elle ne reçut ce qu’elle en espérait, au point où elle l’espérait. Jalouse même de l’intérêt que Nanako portait à Saint-Just, à qui elle pouvait lui signifier ses quatre volontés, elle refoulait beaucoup au-dedans d’elle cette passion unilatérale, et était déjà toute prête d’entrer en éruption. Mais elle calmait ce feu intérieur qui ne faisait que davantage attiser son ardeur. Outre sa passion, c’était par nature une calculatrice, qui voyait le succès sans besoin de se perdre pour autant, et même pour la violence qu’elle éprouvait à l’égard de Nanako, il n’était pas la peine de se brûler les ailes pour compromettre son prestige. Son ivresse, elle la voulait noyer en prenant tout son temps, pour mieux savourer le moment du triomphe. Elle resserrait lentement, mais sûrement son emprise autour de Nanako.
Pour commencer, elle interdit formellement à Saint-Just de fréquenter Nanako.
Or, Saint-Just aimait Fukiko, et elle l’aimait jusqu’à la fureur, jusqu’à la consomption. C’était une de ces passions qui, comme la peau de chagrin, rétrécit la vie de celui qui la possède. Au moral, cela se traduisait par des médicaments qui l’empoisonnaient de l’intérieur; au physique, cela se voyait par l’entaille qu’elle avait au poignet, subrepticement caché par un bracelet qu’elle portait toujours. D’où venait cette entaille, et pourquoi ce bracelet ? Autant de questions que se posait Nanako.
Mais l’amour qu’elle portait en elle, bientôt, la fit réfléchir, non seulement par sa nature, mais encore par la fuite de son objet, qui se mit à l’éviter sans raison apparente, et même en proie à quelque folie. Quand Nanako la surprit à l’improviste pour lui demander le motif de sa « disgrâce », Saint-Just, sans lui répondre, récita avec inspiration des vers de Verlaine : il pleure sur mon cœur comme il neige sur la ville.
Avec la si grande tristesse dans le regard de Saint-Just, le cœur de Nanako se dilata dans ses tréfonds, dans des proportions infinies. Elle aimait et osait enfin se le reconnaître.
Mais Nanako, privée pour ainsi dire de l’élément de son cœur, retranchée de ce qui en faisait la joie, comprit avec plus d’acuité encore ce qui l’en éloignait, en même temps que le refus de confier son amour se présenta tout naturellement à elle.
Son correspondant ne reçut plus ses lettres.
D’un coup, la chenille venait de sortir de son cocon, ce n’était plus un insecte vulgaire, mais désormais un papillon qui allait voler seule, et qui savait où, dans quel sillage, l’air qu’elle voulait respirer, où elle voulait s’ébattre. Elle accumula de ce jour une force bien à elle qui lui fit comprendre plus extraordinairement ce qu’elle n’aurait par exemple découvert qu’en enquêtant.
Sans donner aucune voie au cours de sa passion, sans son correspondant privilégié, elle garda tout, accumula plus encore dans le secret de son cœur, se parla à elle-même, s’occupa toute entière de Saint-Just dans le silence. Et très vite, elle en devina le bourreau. Mais à la différence de Saint-Just qui se consumait à mesure que grandissait sa passion destructrice, celle de Nanako se creusait plus encore en ses fondations, comme il en est de cette source qui trouve une plus grande profondeur en elle-même pour la mieux faire déborder au dehors. Sans qu’elle n’eut rien à dire, tout le fleuve se déversa à torrent et couvrit tout le mal qu’on pouvait lui faire, qu’on pouvait faire à Saint-Just.
- Eh bien, si elle se désespère, qu’elle n’en meure pas, et qu’elle vienne se désaltérer à moi, que je la remplisse, oui, que cela me déborde et me transperce le cœur, mais qu’elle vive ! Si éloignée que je sois d’elle, où qu’elle soit, comme la mer, l’océan de mon cœur ira jusqu’à elle, comme le déluge qui recouvre tout, il trouvera l’once de terre où elle respire, et alors, alors, je la noierai dans mon amour à l’en consoler du sien. Qu’elle vive seulement ! Chapître 2 Cependant, Fukiko conserva ses distances avec Nanako. En vérité, elle voulait observer son comportement en premier lieu, eu égard à l’éviction de Saint-Just, avant d’agir. Mais chose étrange, Nanako continua de se rendre au Cercle, continua d’allers en cours, observa tous les égards dus à Sa Majesté Fukiko, sans différer en rien de ce qu’elle avait été jusqu’alors.
De temps en temps, Nanako sentait le regard plus incisif de la Princesse lorsqu’elle passait, mais si naturellement que cela passait inaperçu à tout autre qu’à elle. On eût dit qu’à présent ces deux personnes pouvaient se comprendre sans plus avoir besoin de se parler, sans même le manifester au dehors par des gestes qui pouvaient les trahir.
Si Saint-Just avait soudainement disparu de la circulation, le premier effet qu’on pouvait attendre de Nanako fut qu’elle commença à la chercher. Or, il n’en était rien, pas plus qu’elle ne se mit à parler de Saint-Just lorsqu’on s’inquiétait de sa disparition. Son attitude à cet égard ne montra rien qui put receler un intérêt différent. Seulement, elle ne participa pas aux discussions des autres filles.
Comme à l’ordinaire, il lui arrivait de plaisanter avec son amie Tomoko. Mais parfois, lorsqu’elles discutaient, dans les intervalles du silence, son regard subitement devenait plus fixe, comme absent, mais non pas errant, seulement coupé du monde. Toutefois, c’était très rare au sein de l’école, et jamais elle ne s’y abandonnait qu’en présence de Tomoko.
Un mois se passa. La disparition de Saint-Just avait soulevé une forte émotion, mais le vent pendant ce temps avait tourné. Si d’aventure, quelque membre haut placé du Cercle interrogeait Sa Majesté Fukiko, cette dernière répondait :
- Ne me parlez plus de cette fille-là. Est-ce que je la connais ?
Et il n’en fallait pas davantage pour refroidir les curiosités. Saint-Just devînt un sujet tabou. Mais comme la girouette qui indique un sens puis un autre, l’intérêt de toute l’école revint plus fortement concentré en Sa Majesté.
Fukiko avait à elle seule assez de charisme pour détourner les volontés, pour les ramener à elle et se les accaparer. Toute cette foule, elle la maniait à sa guise, avec un tact si bien à elle qu’elle n’usait jamais d’aucun expédient. Tout était pesé au poids de sa valeur, rien ne passait la mesure chez elle. Tout semblait si simple malgré cette majesté, cette grâce innée, non pas simple comme on l’entend au naturel, mais il n’y avait rien de trop dans le remarquable. Aussi, qu’elle eût « formulé le vœu » qu’on ne lui parla plus de Saint-Just, à elle, mais à elle seulement, supposait déjà que cela devait s’étendre à la terre entière.
Cependant, c’était là tout ce qu’il y avait de plus inutile pour Nanako. Elle n’avait pas besoin d’exprimer ce qu’elle ressentait, ni n’alléguait son droit d’en parler, par quelque mouvement désordonné et furieux qui n’entrait pas dans sa nature profonde et tranquille. Et peut-être que c’était là une erreur de Fukiko, car enfin, n’en pas parler n’empêche guère d’y penser. En retranchant la parole, elle en a accru chez Nanako la pensée. Et jusqu’où donc pourra pénétrer son regard, aussi perçant fut-il, dans celui de Nanako pour y voir l’étendue de son amour ? Mais peut-être qu’elle devinait son erreur, en reconnaissant toutefois qu’en l’état des choses, elle ne pouvait que limiter les dégâts.
Fukiko elle-même était profonde, mais d’une profondeur plus noire. Qu’elle se fut immédiatement attachée, par un coup de foudre, à Nanako est en soi-même plus indicatif de sa nature d’exception que n’est compréhensible l’amour de Nanako pour Saint-Just.
Fukiko, c’était la profondeur trouble, machiavélique, agitée sous le calme apparent, mais qui n’en aspirait pas moins à tout ce qui touchait à la pureté, comme on est attiré toujours par ce qu’il y a de plus contraire à soi, surtout que Nanako était toute pleine de cette bonté d’âme qui se tourne du cœur vers le ciel.
Fukiko avait besoin elle aussi de sentir cette chaleur autour d’elle, mais selon sa valeur à elle.
Mon avis est qu’elle n’avait jamais senti tout au long de sa vie que de l’ennui, que les beautés qui l’émerveillaient, cueillir les roses, son intérêt pour l’équitation, tout cela n’était que passager, et ne pouvait durablement la contenter. Elle se trouvait trop haute et sans égale possible pour tout ce qui l’entourait, et elle promenait son désenchantement royal partout alentour. Régner dans le Cercle n’était qu’un passe temps, mais de toute façon, elle n’avait pas même besoin du Cercle pour sentir sa puissance.
Il y a des gens qui n’ont qu’à se trouver quelque part, sans qu’on ne sache qui ils sont, ils attirent immédiatement le regard. Dans une foule, ils surnagent, on les distingue comme la perle qui brille au fond de la mer.
Fukiko était une de ces perles-là, mais elle rayonnait déjà dans le monde. En voyant Nanako pour la première fois, elle avait pressenti en elle cet éclat prochain, mais qui gisait encore dans l’enfance. Or, si Nanako devait briller, elle ne pouvait briller qu’en dehors du monde. En somme, cela lui faisait pendant dans la balance, comme d’une force qui soutient tout en bas, mais dont les fondements sont plus solides et stables en ce qu’ils proviennent directement de la racine du cœur.
Nanako n’aurait jamais pu sortir et briller qu’en se cachant de nouveau, ou briller dans une caverne par exemple. C’était la lumière, non de cette lumière qui ressemble à celle de Fukiko, lumière qui rayonne mais qui ne réchauffe pas, non, l’éclat de Nanako est bien plus chaleureux, plus adamantin, plus nature, plus vrai, c’est un foyer. Il fait doux auprès d’elle, on sent l’air se remplir d’amour. Pour les ténèbres que recelait le cœur de Fukiko, c’était la source magique, le bain de jouvence, la source d’eau pure qui ne tarit jamais, et où elle viendrait boire, son jardin secret, mais qui n’aurait jamais appartenu qu’à elle, à elle seule.
Pour cela, Saint-Just devait être écartée, refoulée jusqu’au bout du monde, bannie de la terre.
Mais il était sans doute trop tard. Si Sa Majesté Fukiko avait été d’emblée la seule à comprendre Nanako, mieux d’ailleurs que cette dernière ne se comprenait au début, il en était à présent tout autrement. Car dans les profondeurs où à présent Nanako était descendue, Fukiko ne pouvait plus la rejoindre pour s’en faire aimer.
Le cœur de Nanako venait de se fixer, il avait pris racine en Saint-Just, il s’était à présent cristallisé, et cristallisé pour de bon. Fukiko le voyait, le sentit dans un frisson épouvantable qui lui glaça le cœur, et s’en mordit les lèvres jusqu’au sang :
- Non, non, c’est impossible ! Ce ne devait pas se passer comme cela. Je devais disposer de plus de temps ! Je savais qu’elle me dépasserait, mais non qu’elle le ferait aussi vite, jusque-là !
Et pas plus que son langage ne pouvait avoir de sens que pour elle, Sa Majesté Fukiko, le calme apparent, la dignité parfaite, la majesté triomphante, se déchaîna dans le secret de sa chambre. Ses cheveux si savamment tressés se dressèrent, ses yeux jetèrent des flammes, tout son visage s’anima d’une violente colère. Elle devait donner toute la pleine mesure de ses forces… quitte à se perdre. Pour la première fois, elle sortait de ses gonds.
Le volcan entra en éruption et toute la lave allait dégouliner, emportant tout sur son passage. Chapître 3
Nanako consulta sa montre en faisant jouer son cadran lumineux. Dans l’obscurité de la salle de cinéma, il tardait. Il y avait bien cette bonne intrigue du film, qui maintenait le suspense, qui la laissait palpitante d’en connaître le fin mot, même si ces trucs sentimentaux, au fond, c’est toujours un peu nul.
Nanako consulta donc sa montre : il était 19h30. Si elle allait tarder encore de cinq minutes, elle n’aurait plus le temps de se rendre au Cercle. Non, il n’y avait plus à tergiverser, Mlle Borgia avait bien dit 20h. D’ailleurs, le film vira dans une sombre histoire d’adultère, et Nanako profita du tournant scabreux pour se lever doucement.
Elle chuchota tout bas à son amie :
- Je m’en vais. Bonne fin de film, Tomoko.
- Chut, chut ! ça devient de plus en plus génial ! lui répondit cette dernière, en mâchouillant son pop-corn.
Quelle idée toutefois de l’envoyer seule, à pareille heure, à la nuit tombante, au Cercle ! Sans même lui en donner le motif. Pourquoi donc ? se disait Nanako, en passant la barrière.
Objectivement, Nanako n’en savait rien, mais d’un point de vue plus intérieur, elle ne pouvait s’empêcher d’avoir peur.
Nanako quitta donc en catimini le cinéma et se rendit au lycée. Toutes les portes du Cercle lui furent ouvertes, jusqu’au corridor qui conduit à la grande salle.
La grande salle était uniquement réservée à la présidente.
En d’autres temps, cette porte massive lui en aurait imposé, à l’instar des décors somptueux par lesquels elle était passés, mais elle avait couvert toute cette distance sans se rendre compte, fixant uniquement sa pensée sur Fukiko.
Avec Fukiko, elle sentait dans l’atmosphère se répandre une aura stressante. Mais il y avait une captation à laquelle, malgré elle, elle ne pouvait s’empêcher de se sentir envoûtée. Un peu comme ce serpent de la légende qui fascine sa proie, et la trouble complètement avant de la tuer. La pauvre colombe sait bien que le serpent est son ennemi mortel, qu’il en veut à sa vie, mais il suffit que le serpent la regarde, et la voilà captivée, ensorcelée. Elle n’y peut rien et se jette, souriante. Elle va à la mort.
Seulement, Nanako n’était pas non plus ce que l’on pouvait appeler une proie facile.
La question était : aussi forte qu’elle était en son âme, l’était-elle assez pour passer cette épreuve ? Malgré elle, cette aura dangereuse comme par réflexe la contractait. Derrière cette porte, sans qu’elle n’eut à la voir, Sa Majesté était là. L’air ambiant le lui signifiait.
Nanako inspira un bon coup, pour se donner courage, et frappa.
- Entrez, lui répondit-on de l’intérieur.
Tout de suite, et avant tout le reste, comme si elles brillaient de mille feux, les lèvres de Fukiko apparurent à Nanako dans leur corail le plus sulfureux, et cela même ressortait plus magnifiquement du reste de son visage par lui-même assez éloquent en temps ordinaire. Comme si, de ses lèvres rouge sang il allait sortir la parole qui devait, ou lui accorder la grâce ou la plonger dans les abîmes.
- Te voilà, enfin, dit Fukiko. Entre.
- Bonsoir, Mlle Miya, dit Nanako en refermant la porte.
Dans le silence sépulcral de cette pièce étonnamment refroidie par la présence même de Sa Majesté, résonnait tout le calme qui précède les grandes tempêtes, comme s’il allait résulter de là une providence ou une fatalité, bref comme si une partie essentielle ici allait se jouer.
- Viens t’asseoir près de moi.
Nanako, s’avança, mais elle s’assit à l’autre extrémité.
Pour combler la distance qui les séparait, Fukiko s’approcha.
- Tu as peur, tu t’éloignes, tu me fuis. Tu ne voulais pas venir, je me trompe ?
- Non, non, Miya-sama ! C’est-à-dire qu’il y avait ce film, et puis, j’ai dû partir, enfin il se faisait tard, je me couche de bonne heure. Oui, c’est cela !
- Ne parle pas si vite, dit Fukiko, d’une voix monocorde. Tu as tout ton temps. Sais-tu pourquoi je t’ai fait venir ?
- Non, répondit Nanako dans un chuchotement.
- Tu ne t’en doutes pas un peu ? dit Fukiko, d’un ton plus adouci. Allons, cherche.
- Non, je vous assure.
- Tu mens, ma mignonne !
- Non, non, je vous assure, j’ignore tout.
- Tu ignores et cependant, tu sais, tu devines, mais tu n’es pas sûre, et tu préfères te taire. Bonne défense ! c’est bien. Alors, je vais te répondre. Tu cherches Saint-Just, la perdue ! Saint-Just, la dévoyée ! Saint-Just la droguée ! Voilà la personne que tu cherches.
Nanako ne répondit pas, mais elle serra malgré elle les poings, pour mieux resserrer ses lèvres. Aucun mot ne devait encore sortir.
- Et tu es venue, en surmontant ta peur, car tu sais, tu sais dans ton for intérieur qu’elle est à ma merci.
- Miya-sama, Miya-sama !
- Calme-toi. Tu vois, tu peux me parler de confiance. Car je te surprends dans tous tes replis. Là où tu es dans le secret de ton cœur, je suis. J’ai un œil qui te regardes et te cherches, mais cet œil qui te cherches, cet œil t’estime.
Là-dessus, Fukiko prit une inspiration, comme si elle allait prendre un risque, ou que cet effort lui coûta, avant d’ajouter :
- Je peux te rendre Saint-Just, mais tu ne le veux pas. Tu crois seulement le vouloir.
- Si, si, Miya-sama, si, si, rendez-moi mon … Rendez-nous Saint-Just !
Fukiko éclata alors d’un rire sardonique :
- Ah, ah ! Tu allais dire que tu l’aimes, ma mignonne. Et tu t’es retenue. Tu vois que je te devine encore.
- Miya-sama, Miya-sama ! dit Nanako toute désemparée.
Nanako se crut toute transparente au regard de Fukiko, qui la transperçait de part en part, comme la lumière du phare qui perce l’obscurité de la mer. L’absence même de sa ligne de défense, de toute ligne de défense possible, où, même dans sa pensée, sans voile, dans sa forteresse suprême, son dernier, son unique et plus puissant rempart, elle ne pouvait plus même se cacher sans que Fukiko ne vienne l’y chercher, en chargeant sans scrupule. Psychologiquement terrassée, elle pleura à chaudes larmes.
Fukiko le vit et le comprit. Brusquement, elle relâcha son emprise, et elle céda un peu.
- Nanako, cesse de pleurer, et n’abîme pas ton beau visage, ma mignonne ! Tu n’es pas une pleureuse. Je sais le reconnaître. Ma Nanako brille comme un diamant brute. Ses larmes mêmes sont pour moi pures joyaux. Près de moi, tu peines à te déployer. Tu sens trop le poids de mon regard. La colombe hésite à prendre son envol quand elle voit l’aigle planer au dessus d’elle. Mais elle n’a rien à craindre.
Et Fukiko, ajouta, avec un pincement au cœur qui semblait être vrai :
- Encore que pour toi, je suis un vautour.
- Non, non Miya-sama ! non, ce n’est pas vrai. Vous êtes si belle, vous êtes la plus belle femme du monde ! Et moi, moi je… je vous admire !
- Ce n’est pas de l’admiration, Nanako, seulement de la crainte. Mais j’ai besoin encore que tu me craignes. Attends, attends un peu, mon ange, et tu me verras mieux. Mon regard si pesant pour les autres vers toi sera adouci, mon cœur si dur pour autrui, pour toi versera son fiel. Car je suis fiel et amertume. Mais ta coupe est plus belle encore que ne l’est ma beauté, elle pourra me recevoir sans éprouver son mal, et j’y verserai mon coeur.
- Miya-sama, dit Nanako, dont les yeux s’inondèrent de larmes.
- Oui, c’est cela, c’est un ruisseau de perles et de brillants qui coulent de tes yeux, ces fenêtres de ta belle âme, mon ange ! Tout ce que j’y vois est magnifique. Tu es belle, infiniment plus belle que tu ne l’imagines, mon aimée ! Dire que c’est à cette bâtarde que je dois cette métamorphose si rapide ! Au rejeton vulgaire, mais je lui dois bien ça, car elle tient de mon sang, ma demeurée de sœur ! Car sans cela, elle n’aurait rien pu faire. Oui, elle tient de mon sang. Ah, ah ! elle aura eu au moins ce mérite, elle m’aura été bonne à quelque chose, l’esclave !
- Miya-sama, Miya-sama, je vous en prie, je vous en conjure, je vous en supplie, n’insultez pas Saint-Just ! Miya-sama, ne soyez pas si cruelle !
- Tu crois donc que je suis cruelle avec elle ? Mais non voyons, c’est ma façon à moi de la reconnaître comme ma sœur, de l’aimer en tant que telle. Chère petite, je ne crois pas à ta naïveté, c’est encore là la marque de ton innocence, ton bien toujours précieux. Et ce bien te restera. J’y veillerai.
- Miya-sama, je ne vous comprends pas.
Fukiko se leva, et arpenta la pièce en se croisant les bras. Elle ne regarda pas Nanako durant ce petit temps de ronde, comme si elle avait besoin de se recueillir pour de nouveau charger. Mais cet intermède changea le cours de la discussion.
Fukiko dit :
- Vois-tu, Nanako, il y avait déjà comme une fatalité qui devait te conduire à moi, puis t’y enchaîner. Cela m’était dû, pour mes souffrances. Comprends-tu ? Du germe de mes souffrances m’en est venu, m’en doit revenir la consolation. Pour toi, on peut dire que tu viens de naître, dans ton quinzième printemps, tandis que je suis morte, moi, à mon douzième été. Du moins, j’ai cru corps et âme que j’étais morte, car le temps pour moi s’était arrêté.
- L’on vit toujours en aimant, dit Nanako, haletante. Cela comble la vie, et passe toute souffrance ! Mais Miya-sama, pourquoi me dites-vous cela ?
- Pour avoir ta confiance Nanako, parce que, pour avoir souffert de l’aîné, la benjamine doit me revenir. C’est mon dû. Mais celle-là répond plus intensément au désir de mon cœur, à ses cours tumultueux, gigantesques et violents qui se déchaînent en silence, mais que le tien saura apaiser. Car ta profondeur égale et surpassera la mienne. Ton aîné, en son insignifiance, ne le peut plus ; et d’ailleurs, il ne pouvait suffire qu’à la gamine capricieuse que je fus, et qui en est morte. Avant ma treizième année, je l’avais déjà dépassé au retour de l’hiver.
Nanako eut une lueur d’incompréhension, elle allait interroger, mais Fukiko continua :
- Il y a une chambre dans notre résidence d’été. Cette chambre est ma chambre, où rien n’est changé, rien n’y a été dérangé, où tout est resté tel quel, jusqu’à l’aiguille du cadran qui indique l’heure où j’ai cessé de vivre. Cette chambre, vois-tu Nanako, c’est mon cimetière, et mon lit tout près, c’est ma tombe. Là, je viens pleurer chaque année les funérailles de ce que fut Fukiko Ichinomiya.
Le froid terrible dont Fukiko accompagna ses paroles, comme si elle parlait d’une personne qui de longtemps n’était plus, comme en effet à la voir, on ne pouvait que le penser, que c’était un fantôme qui parlait et non pas un humain, dans la nuit, avec la foudre qui venait soudain de s’abattre, et la pluie qui tombait à torrents, Nanako le pensa en effet. Ce corps parfait et sans reproche qui survivait en quelque sorte, dans tout le luxe de l’existence terrestre, dans tout l’esthétisme de la plus belle des femmes, pour celle qui ne devait être que morte dans le chagrin mais qui était toujours vivante et respirait, toute cette concrétion de sensations qui montait en elle, et brouillait tout, qui déjà aurait eu plus que de raison fait compatir, lors même que c’était son ennemie même, le bourreau de son adorée Saint-Just, tout cela, eh bien, eh bien pour Nanako qui n’était qu’essence de la plus belle eau, Nanako se mit la main sur la bouche pour empêcher son cri de la briser. Insensiblement son corps ploya, elle s’effondra, mais non encore jusqu’au point de s’évanouir, c’était presque un semi-délire d’épouvante à l’écoute d’un récit qui vient de la plus grande tristesse de la nuit.
Que Nanako compatit, non pas pitoyablement comme Fukiko aurait aussitôt saisi la nuance pour s’en révolter d’un châtiment terrible, mais pour s’en émouvoir à son tour, en l’éprouvant elle-même comme l’amour qui répondait à son amour, les yeux de Fukiko brillèrent d’une sinistre joie, et du sombre abîme où elle avait l’air de parler, soudain, elle sembla comme refaire surface.
Nanako était presque allongée, son corps tremblait, du moins était sujet à de légers spasmes. Fukiko s’approcha d’elle, et tout à coup, violemment se jeta sur elle, cédant au mouvement impérieux qui n’avait que trop longtemps sourdit en elle. Avec frénésie, elle prit la tête de tête de Nanako dans ses mains, embrassa, but goutte à goutte chacune de ses larmes, comme le plus succulent nectar, enfin, cédant à tout empire, elle colla sa bouche à la sienne. Chapître 4
Tout était donc fini ? Nanako n’avait donc plus qu’à attendre la clémence de Fukiko ?
Désemparée, abandonnée et sans force devant la fascination que Fukiko exerçait, non seulement sur elle, mais sur les éléments qui agissaient en sa faveur, Nanako semblait céder.
Oui, Nanako cède, mais ! Mais elle ne cède pas en fin de compte. Et même, c’est presque tout le contraire, vous allez voir ! En apparence seulement, elle est toute à la merci de Fukiko, qui, dans le triomphe, savoure déjà, sur les lèvres de Nanako, le fruit voluptueux.
Or, Fukiko eut un frisson, un saisissement presque électrique à ce contact, comme si le magnétisme qu’elle exerçait si puissamment alentour, s’en retournait décuplé contre elle, l’assaillant par vagues à la noyer.
Fukiko se redressa malgré elle.
D’où lui venait ce frisson ? Fukiko crut entendre un cri, mais en tendant les oreilles, il n’en était rien. Mais ce cri avait bel et bien résonné, oui, quoiqu’il ne fut pas audible aux sens, il avait bien retenti. Un cri, sans que cela ne s’entende, peut tonner plus fort que ne le fait le tonnerre. Il y a une voix qui hurle, qui veut, qui doit se faire entendre. Une voix qui monte, et monte si haut du fait qu’elle parle des tréfonds, que malgré le silence des lèvres scellées, il s’élève une force inconnue qui anime la personne toute entière.
L’âme se révolte et se déchaîne lorsque le corps n’a plus de force, et c’est la commotion.
Ce n’est que l’âme de Nanako qui agit ici, sa petite âme à elle, qui lui appartient en propre, le gage précieux, le trésor, le diamant brute, et tout ce qu’elle avait de plus riche au monde. Une prière qui vient de là doit monter au ciel, et s’en faire entendre. Et celle de Nanako était à la mesure de sa pureté d’âme.
Or, si Fukiko, malgré sa violence s’était si soudainement redressée, involontairement, en cédant à son tour à l’incompréhensible, où les yeux épars, elle crut à quelque intervention divine, en s’apercevant qu’il n’en était rien, qu’il n’y avait personne, Fukiko respira, se rassura devant ce frisson sans suite, et de nouveau, elle riva ses yeux capiteux sur sa proie accablée et sans défense. Mais la violence première lui était passée, et ce qui en restait, ce qu’elle vit enfin, c’était les yeux fermés de Nanako, avec le ruisseau des larmes s’écoulant aux extrémités des paupières, et sa bouche close. Fukiko toucha par réflexe ses lèvres, où le rouge qu’elle avait sur les mains, son rouge à lèvres, devînt comme sang.
En le voyant, ses yeux s’écarquillèrent.
Cependant, la porte de la grande salle s’ouvrit à grand fracas, et tout à coup, Saint-Just surgit des ténèbres où on la croyait perdu à jamais.
- Arrête ! cria Saint-Just. Arrête ta violence !
Il ne fallut pas plus d’une seconde à Fukiko pour retrouver l’empire qu’elle exerçait sur elle-même. Fukiko se leva de toute sa hauteur, et fulmina :
- Que fais-tu là ? Insolente, retourne à la place que je t’ai assignée.
- Déchu, tu as déchu, dit Saint-Just en s’approchant, en prenant dans ses bras Nanako qui, à ce nouveau contact, ouvrit les yeux. Nanako, tu n’as rien, réponds-moi ?
Puis se tournant vers Fukiko, d’un air égaré, presque dément :
- Que lui as-tu fait ? Qu’est-ce que cela signifie ?
- Je n’ai pas à te répondre. Je répète : retourne à la place que je t’ai assignée.
- Non, c’est fini. Je suis libre, libre comme l’air. Par ce que tu viens de faire, tu n’as plus aucun droit sur moi. Je t’enlève toute prérogative sur ma personne. Tu as perdu toute dignité, toute fierté, Fukiko ! Oh, quelle bassesse ! Toi, en être réduite là ! User d’un tel procédé !
- Je n’ai rien fait, dit Fukiko avec flegme.
- Oui, c’est vrai, intervint Nanako en s’éveillant de sa torpeur.
Nanako se redressa. Elle se mit sur son séant avant d’ajouter :
- Miya-sama ne m’a rien fait. Car… elle ne pouvait rien me faire. Non, elle ne pouvait pas.
Fukiko regarda Nanako avec énigme. Spontanément, elle rapprocha ces paroles du frisson dont elle gardait encore la vivacité.
- Tu le vois bien, dit Fukiko, elle n’a rien. Elle-même le dit. Maintenant, que fais-tu là ? Pourquoi m’as-tu désobéie ?
- C’est donc vrai, Nanako ? dit Saint-Just, toute frémissante, passant brusquement de la démence à une joie tout aussi folle.
- Oui. Je n’ai rien, dit Nanako. C’était l’éclair au dehors. Ca m’a bouleversée, voilà tout.
Saint-Just alors se jeta aux pieds de Fukiko.
- Oh ma chère sœur, dit-elle, pardon, pardon ! Je t’avais scrupuleusement obéi jusque-là, je le jure ! Pardonne moi ! Un doute, une peur affreuse m’auront traversée ! Je suis sortie de ma tanière, mais je devais en avoir le cœur net. Je ne pouvais m’empêcher de me trouver dans ton sillage, n’être qu’un point d’ombre derrière toi, vois-tu ? Bonheur unique ! Marcher discrètement plus loin, mais te voir, c’est tout ce que je voulais. Mais toi, tu ne voyais rien, bien entendu, et si tu le savais, tu me permettais bien de voir un petit bout de toi, n’est-ce pas ? Personne ne pouvait s’en rendre compte, tu as vu ? Tout un mois à m’effacer devant tous ! Parce que tu le voulais, je t’ai scrupuleusement obéi. Mais de toi, non, je ne saurais me passer. C’est-là ma nourriture, ma sœur ! Mon âme sœur… pardon !
- Comment as-tu pu croire ? Comment oses-tu me parler, et implorer mon pardon après avoir proféré de telles accusations ? Mais il suffit, j’en ai assez entendu.
Fukiko se dirigea vers la sortie, mais tout juste avant de franchir la porte, elle s’arrêta. Sans toutefois se retourner, elle dit :
- N’oublie pas à qui tu dois obéissance, ne l’oublie jamais ! Et souviens-toi de ce que je t’ai dit touchant ma protégée, ou tu en répondras. Adieu !
Et Fukiko quitta la grande salle, mais il soufflait dans le battement même de sa robe, un froid glacial qui resta même après son départ. Saint-Just en tressaillit malgré elle.
Nanako et Saint-Just se retrouvèrent seule à seule.
Nanako avait assisté à cette scène sans rien dire, quoique à la vérité, elle fut passablement surprise de l’humiliation que Saint-Just subissait de son propre chef. Bref, elle ne l’eut peut être jamais cru si elle n’avait vu de ses yeux vus le spectacle si pitoyable d’une jeune femme comme Saint-Just, déjà toute meurtrie de l’intérieur comme de l’extérieur par l’influence désastreuse qu’exerçait sur elle Fukiko.
Au demeurant, l’on pourrait même se demander si cette humiliation presque trop criante de la femme à la femme, dont la supériorité éclatait comme le soleil devant la nuit, dont l’une était un tyran pour l’autre, et un tyran si complet que l’esclave même jouissant d’un certain orgueil était encore supérieur à Saint-Just, parce que dans sa pensée, l’esclave reste libre tandis que Saint-Just ne l’était pas, l’on pourrait se demander si un cœur si constant que l’était celui de Nanako, qui avait ainsi mis son espérance, remis son bonheur en quelque sorte en cette assise, qui avait donné son cœur sans intention de le reprendre, n’en fut pas revenue sinon plus raisonnable, du moins un peu troublée par ce qu’elle venait de voir, comme lorsque l’on revient d’une illusion ou de sa chimère.
Mais voyez donc ce qu’il en était sur sa physionomie radieuse ! Comme l’arc en ciel apparaît après la pluie, quand un rayon de soleil la traverse, elle retrouvait son rayon de soleil ! Et cela lui réchauffa le cœur. Tel était l’effet de l’apparition de Saint-Just sur Nanako. Après une si longue séparation, elle n’avait d’yeux que pour l’objet de ses pensées !
Dans l’inquiétude qu’elle éprouvait pour celle qu’elle aimait par-dessus tout, regardait-elle plus loin ? Non bien sûr, Nanako n’en était pas à peser, à juger si l’on peut dire cette femme, la bien aimée de son âme, pour déceler à travers la tyrannie, le cœur souffrant. Elle passait donc par-dessus la psychose que recelait l’âme de Saint-Just où elle devinait la torture, car cette torture même la faisait souffrir elle, mais elle la voulait remplir de son amour.
Son cœur se mit à battre plus fort, sa poitrine l’oppressa, mais c’était pas excès de bonheur, et l’excès même de son émotion lui ôta toute parole.
De son côté, Saint-Just en se relevant, vit immédiatement sur les lèvres de Nanako le ton rouge peu ordinaire qui dépassait, et sans plus s’inquiéter de son trop récent abaissement, ne redoutant pas même de déchoir plus, elle considéra les lèvres de Nanako, plus orageusement encore que l’orage du dehors, comme Tantale par exemple considérait les fruits qui pendaient au-dessus de lui.
Il s’opérait en elle à ce moment une révolution encore plus violente, car sur les lèvres de Nanako, Fukiko avait prononcé un interdit.
- Tonnerre ! Que je sois damnée, mais je goûterais tes lèvres, Fukiko ! Que tu me condamnes et que j’en meurs ! mes sens sont révoltés. J’irais en enfer en chantant s’il le faut, mais je t’aurais embrassé.
Et Saint-Just toute enragée se jeta sur Nanako, comme une morte de faim. Oh ! Il y avait encore du parfum de Fukiko, un peu ici, sur la mèche de cheveux, et un peu là, sur la paupière. Oh ce rouge qui restait sur les lèvres de Nanako, comme un peu au dessus, oh comme tout cela pouvait nourrir une âme à l’agonie ! Chapître 5
D’importants événements s’étant déroulés à l’Etablissement des Fontaines, dit de Seiran, dans le même temps que la révolution conduite par la générale Kaoru no Kimi, dite ô Capitaine, mon Capitaine ! allait faire entrer une institution vieille de plus d’un siècle dans le rang, pourrait-on dire, où le rôle de ladite Kaoru tel qu’il fut relaté dans les annales, quoiqu’il apparut partout comme une lutte vouée à l’échec, à laquelle on la croyait perdue, d’autres témoignages venant s’ajouter attestant sa santé précaire, il en est ressorti à la stupeur générale que ladite Kaoru no Kimi, en se prévalant des vertus républicaines, de liberté, d’égalité, de fraternité, au terme de ce qu’on aurait pu attendre comme un combat perdu d’avance contre la monarchie, et dont le ridicule devait s’en retourner contre elle, en la mettant soudainement à l’avant, sous les feux des projecteurs et de la publicité, par sa victoire, une victoire à la Pyrrhus précise-t-elle, devait la faire passer à la postérité, en faisant également de sa lutte double contre la maladie, un exemple digne de donner courage à tous ceux qui, moins touchés qu’elle ne l’a été, s’abandonnent sans lutter eux-mêmes dans le chagrin.
Nous nous sommes tenus ici aux témoignages des différents acteurs, quoiqu’il soit question ici de jeunes filles discrètes et peu ouvertes au débat de nos colonnes, mais suite à nos investigations et acharnements dont nous sommes redevables à la discrétion cependant de quelques témoins de couloir, qui veulent garder leur incognito, nous pouvons d’ores et déjà apporter plus de précisions sur ce qui pourrait donner matière au plus ténébreux des romans.
Car il couve sous cette lutte de si violents orages, des passions inassouvies et fulgurantes, que l’événement même disparaît derrière ce torrent de passions, et qu’en voulant seulement rapporter la dissolution du prestigieux Cercle de la Rose, comme c’était notre intention au départ, en dessous déjà comme une lave fumante et ouvrant plusieurs brèches, toutes plus brûlantes les unes que les autres de passions refoulées, d’abîmes gigantesques, nous nous sommes retrouvés par le plus grand des hasards témoin du plus grand événement qui fut jamais, et dont il y a fort à parier que nous n’en saurions voir un similaire dans le prochain millénaire.
Car il émane de tout cet établissement une si forte personnalité, et comme une angoisse souterraine, que l’on ne saurait s’arrêter quelque part sans y trouver la solitude pesante, voire intolérable. Chaque mur de cet établissement a vu quelque chose, nous ne dirons pas un crime, mais il en garde comme une culpabilité, écrite au burin sur la pierre.
Sans doute, cet établissement à une âme, mais cette âme n’est pas tranquille.
En vérité, dès le début, nous avons senti l’agitation sous le silence, la violence derrière le masque.
Il s’est passé ici, il s’y est déchaîné des passions plus furieuses que celles qui mènent au tranchant de la guillotine.
La moindre jeune fille recelant en elle, une vie déjà trépidante, pleine d’un riche vécu, car il suffit d’être entrée à Seiran, d’avoir été au contact une fois dans sa vie, avec un seul de ces caractères charismatiques, pour s’en trouver armée de pied en cape pour la vie, si toutefois l’on en sort.
Car l’on n’en sort pas toujours.
Il est à rapporter que tout est venu, que tout a commencé suite à une pétition lancée par la générale Kaoru no Kimi, encore que bien avant divers événements auront provoqués la rébellion déjà grouillante de cette jeune fille combative, qui suite à l’agression au cutter de l’élève Mariko Shinobu sur l’élève Prisca Chardonnais, aurait dit-on entamé les hostilités, jetant un pavé dans la mare, en désignant comme l’unique responsable de cette agression, la célèbre institution qu’était le Cercle de la Rose, faisant de l’élève Mariko Shinobu non pas la réelle coupable mais l’innocente victime de l’influence désastreuse, voire psychotique qu’exerce ledit Cercle de la Rose sur ses congénères.
Une telle accusation, à moins de se justifier preuve à l’appui, était effroyable, digne du gibet. En porter une, c’était déclarer ouvertement la guerre, et non pas à n’importe qui. Pour être clair, c’était un crime de lèse-majesté.
Déjà le nom que toutes ont sur les lèvres fait trembler, toutes baissent la tête et ne suivent plus Kaoru dans son délire révolutionnaire.
- C’est assez, elle s’est bien amusée comme cela, et nous avec elle, mais il y a des devoirs à faire pour demain.
Seulement la générale est sérieuse, quitte à mener la bataille seule, elle ne renonce pas.
A présent d’autres noms s’avancent dans la lutte, des noms prestigieux, émanant du Cercle, car la reine prend au sérieux la menace, elle envoie ses lieutenants, et non pas de la camelote, mais des noms qui à eux seuls pourrait faire frémir les trois cents spartiates des Thermopyles. Des Mona Lisa, Vampirenna, des Borgia, etc… C’est toute l’Italie des Médicis qui se dresse ! Et l’on sent déjà, avec le froid qui vous parcoure l’échine, qu’une main discrète verse le poison dans le verre. Mais il ne faut pas boire !
Cependant si Kaoru en effet fut le levier archimédique si l’on peut dire de tout ce chambardement, la force brute qui met le doigt sur la plaie, là où se trouve le mal, d’autres actrices auront eu leur mot à dire, forces passives, au demeurant, inopérantes, mais qui, l’on s’en rend compte, auront participé, à leur manière, au mouvement révolutionnaire.
D’aucuns rapportent que sans cette fameuse nuit, nuit de catastrophe qui aura fait date dans l’histoire de l’établissement des Fontaines, le mouvement amorcé par la générale Kaoru serait restée lettre morte, et classé sans suite. Cela n’enlève cependant rien au mérite de la générale.
Doubler, tripler une classe, il y a bien là de quoi perdre toute assurance, mais en conserver infailliblement sa force d’âme, pour se jeter contre ces moulins à vent, cela vaut que l’on s’y arrête, et l’on fait bien, car on a appris depuis, et cela ne saurait nous surprendre, qu’il coule dans ses veines le sang d’une prestigieuse lignée de samouraïs dont le nom même résonne comme un talisman.
Comme tout événement qui précèdent les révolutions grouillent de l’intérieur abondamment avant de voir le jour à l’extérieur, dans tout ce qui se passa, dans tout ce qui suivit, bref, ce que l’on nomme la face cachée de l’iceberg, dans les faits racontés que perpétua l’histoire de l’établissement, l’on ne fait que peu mention de l’élève Nanako Misono.
Sans doute, car elle ne sera restée que quelques mois. Son rôle dans cette histoire est discret. Dans les faits, on ne la trouve nulle part en force agissante. Passive comme la pierre, cependant, elle apparaît de toute évidence comme la pierre angulaire.
Car ce nom intervient partout, et l’on voit en effet que l’action entre dans son virage décisif au moment où elle quitte la scène, dans la nuit la plus orageuse qui fut jamais, creusant d’ores et déjà un abîme entre le passé et l’avenir.
« Elève discrète, douée sans excès, et dont les chétives affections n’auront pas passé la fleur de la jeunesse », selon le rapport qu’en fait l’un de ses professeurs.
« Roseau à peine levé et déjà tombé, dont la tige ne se dresse qu’un jour, pour ployer au lendemain », d’après un poème de Rei Asaka, dite Saint-Just, élève mortifiante, caractère ombrageux et fuyant, qui s’impute la mort de la jeune fille.
Après enquête de la division commissionnaire chargée du dossier, il s’est avéré toutefois que les circonstances de cette mort ne sont pas criminelles, et tiennent davantage à une malformation congénitale, voire à une impéritie nerveuse de ladite Nanako Misono, dont la trop violente fièvre cérébrale aura fait éclater le coeur.
« Comme la rumeur qui gronde sourdement de l’intérieur, refoulée si loin dans le coeur que plus rien n’en paraît plus en surface, tel était le long et pénible travail intérieur qui s’opérait en elle, et qui lentement mais sûrement accapara ses forces vives. Quoiqu’on peut parler ici de rupture des vaisseaux, c’est un cas clinique plus rare, qui tient à la nature de l’individu. Le cœur seul aura souffert. Mais on en meurt tout pareil. » affirme le médecin légiste.
Plus tard, Fukiko devait faire une confession générale de ce que fut cette nuit apocalyptique, dont elle avait été un témoin oculaire.
Voici sa confession :
« J’avais quitté Rei et Nanako en proie aux fureurs jalouses. A dire vrai, je n’étais sortie de la grande salle que pour aller chercher un poignard. Oui, c’est cela, je ne comptais pas les laisser en tête en tête, non, je n’allais pas me laisser faire, ça non ! J’avais mon mot à dire, et plus qu’un mot, un coup de couteau ! J’allais bien la déchiqueter la bâtarde, en menus morceaux à donner en pâture aux chiens, et plus je tardais, plus j’accumulais mes foudres contre elle.
Les imaginer ensemble, elles deux, oh le tableau infernal ! La bâtarde ! me souffler ma bien-aimée sous les yeux !
L’excès de ma colère était à son comble, appelait son sang pour me calmer.
Mais le sang, oh si j’avais su voir, si j’avais su le reconnaître, le deviner dans le rouge que j’avais sur les mains, comme si j’avais déjà commis le crime !
J’avais les nerfs à vif. Je trouvais l’objet de mon désir dans la salle d’études, c’était davantage un couteau à lettres qu’un poignard en vérité, mais il faisait tout aussi bien l’affaire. Et je regagnai aussitôt la grande salle. Là, comble d’horreur ! Ma bien-aimée était ployée, accablée, toute pantelante dans les bras de Rei. Je m’avançai.
- Qu’as-tu fait ? Ciel, Nanako, tu l’as tué ! Et tu m’arraches le cœur !
Saint-Just serrait toujours dans ses bras le corps pantelant de Nanako, mais c’était déjà un corps sans vie, la tête pendait au sol tandis que Saint-Just cherchait à la ranimer.
- Pardon, pardon, Nanako ! Pardon Fukiko !
- Rien y fait, tu ne saurais me la rendre, et tu me perds. Je suis plus morte qu’elle.
- Je vais me tuer.
- Inutile.
- Mais ?
- Vis, vis longtemps. C’est moi qui m’en vais la rejoindre.
Et serrant plus fort le poignard, tourné au départ vers l’extérieur en direction de Saint-Just, je le rentrai à l’intérieur et le pointai vers mon cœur.
- Arrête ! Arrête, Miya-sama !!
Je levai les yeux. Qui donc avait crié ?
Un éclair traversa la chambre, un jet de lumière tomba à mes pieds et environna toute la pièce. Mes sens étaient tournés. Soit que j’avais vu une forme se dresser soudainement, soit que j’avais le délire, c’était elle ! elle, bien elle qui avait poussé ce cri, mais il résonna dans la grande salle comme une prière. Oui, debout, devant moi, je la vis, Nanako !
Mais elle disparut, s’effondra comme un château de cartes, et à sa place, je vis le visage éploré de ma sœur, ma sœur ! Car c’était ma sœur qui, à travers ses larmes, cherchait à m’arrêter.
- Non, Fukiko, c’est moi, moi qui doit mourir !
Une image ancienne subitement, que je croyais enterrée, morte, surgit dans un tressaillement de tout mon être. C’était la poupée aux yeux livides, aux lèvres rouges, à elle donnée, mais dans le rapprochement qui m’inonda tout à coup, je revis ce visage reconnaissant, celui de ma sœur enfant, ce visage plein d’admiration, éclairé par la joie, que j’avais alors mésestimé, qui m’aimait, avec ce regard à présent vieilli avant l’âge, éteint par le désespoir, et qui allait, - c’était bien là la prière qui m’était adressée, - à la tombe si je n’intervenais pas.
Un flot d’émotion m’assaillit à m’étouffer, mon souffle se coupa. Le couteau, en me tombant des mains, fit sur le plancher un bruit stridant qui me rappela à moi.
- Non, non, tu ne mourras pas Rei, c’est assez, ma sœur. Assez de mal.
- Fukiko ! soupira Saint-Just, embuée de sanglots.
- Oui, Rei, ma sœur de chair, ma sœur de sang, enfin ma sœur de cœur. »
FIN
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